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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

que les instincts spontanés de sa nature sauvage. Il succombe dans cette lutte inégale.

Le nègre voudrait se confondre avec l’Européen, et il ne le peut. L’Indien pourrait jusqu’à un certain point y réussir, mais il dédaigne de le tenter. La servilité de l’un le livre à l’esclavage, et l’orgueil de l’autre à la mort.

Je me souviens que, parcourant les forêts qui couvrent encore l’État d’Alabama, je parvins un jour auprès de la cabane d’un pionnier. Je ne voulus point pénétrer dans la demeure de l’Américain, mais j’allai me reposer quelques instants sur le bord d’une fontaine qui se trouvait non loin de là dans le bois. Tandis que j’étais en cet endroit, il y vint une Indienne (nous nous trouvions alors près du territoire occupé par la nation des Creeks) ; elle tenait par la main une petite fille de cinq à six ans, appartenant à la race blanche, et que je supposai être la fille du pionnier. Une négresse les suivait. Il régnait dans le costume de l’Indienne une sorte de luxe barbare : des anneaux de métal étaient suspendus à ses narines et à ses oreilles ; ses cheveux, mêlés de grains de verre, tombaient librement sur ses épaules, et je vis qu’elle n’était point épouse, car elle portait encore le collier de coquillages que les vierges ont coutume de déposer sur la couche nuptiale ; la négresse était revêtue d’habillements européens presque en lambeaux.

Elles vinrent s’asseoir toutes trois sur les bords de la fontaine, et la jeune sauvage, prenant l’enfant dans ses bras, lui prodiguait des caresses qu’on aurait pu croire dictées par le cœur d’une mère ; de