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ÉTAT ACTUEL ET AVENIR DES TROIS RACES.

au sein même de nos sociétés ; mais cela est bien plus visible encore chez les peuples pour lesquels les habitudes de chasse sont devenues des coutumes nationales.

Indépendamment de cette cause générale, il en est une non moins puissante et qui ne se rencontre que chez les Indiens. Je l’ai déjà indiquée ; je crois devoir y revenir.

Les indigènes de l’Amérique du Nord ne considèrent pas seulement le travail comme un mal, mais comme un déshonneur, et leur orgueil lutte contre la civilisation presque aussi obstinément que leur paresse[1].

Il n’y a point d’Indien si misérable qui, sous sa hutte d’écorce, n’entretienne une superbe idée de sa valeur individuelle ; il considère les soins de l’industrie comme des occupations avilissantes ; il compare le cultivateur au bœuf qui trace un sillon, et dans chacun de nos arts il n’aperçoit que des travaux d’esclaves. Ce n’est pas qu’il n’ait conçu une très haute idée du pouvoir des blancs et de la grandeur de leur intelligence ; mais, s’il admire le résultat de nos efforts, il méprise les moyens qui nous l’ont fait obtenir, et, tout en subissant notre ascendant, il se croit encore supérieur à nous. La chasse et la guerre lui semblent les seuls soins dignes d’un homme[2].

  1. « Dans toutes les tribus, dit Volney dans son Tableau des États-Unis, p. 423, il existe encore une génération de vieux guerriers qui, en voyant manier la houe, ne cessent de crier à la dégradation des mœurs antiques, et qui prétendent que les sauvages ne doivent leur décadence qu’à ces innovations, et que, pour recouvrer leur gloire et leur puissance, il leur suffirait de revenir à leurs mœurs primitives. »
  2. On trouve dans un document officiel la peinture suivante :

    « Jusqu’à ce qu’un jeune homme ait été aux prises avec l’ennemi, et