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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

puisse nous priver de notre patrie ? Nous reproche-t-on d’avoir combattu sous les drapeaux du roi de la Grande-Bretagne lors de la guerre de l’indépendance ? Si c’est là le crime dont on parle, pourquoi, dans le premier traité qui a suivi cette guerre, n’y déclarâtes-vous pas que nous avions perdu la propriété de nos terres ? pourquoi n’insérâtes-vous pas alors dans ce traité un article ainsi conçu : Les États-Unis veulent bien accorder la paix à la nation des Cherokées, mais pour les punir d’avoir pris part à la guerre, il est déclaré qu’on ne les considérera plus que comme fermiers du sol, et qu’ils seront assujettis à s’éloigner quand les États qui les avoisinent demanderont qu’ils le fassent ? C’était le moment de parler ainsi ; mais nul ne s’avisa alors d’y penser, et jamais nos pères n’eussent consenti à un traité dont le résultat eût été de les priver de leurs droits les plus sacrés et de leur ravir leur pays. »

Tel est le langage des Indiens : ce qu’ils disent est vrai ; ce qu’ils prévoient me semble inévitable.

De quelque côté qu’on envisage la destinée des indigènes de l’Amérique du Nord, on ne voit que maux irrémédiables : s’ils restent sauvages, on les pousse devant soi en marchant ; s’ils veulent se civiliser, le contact d’hommes plus civilisés qu’eux les livre à l’oppression et à la misère. S’ils continuent à errer de déserts en déserts, ils périssent ; s’ils entreprennent de se fixer, ils périssent encore. Ils ne peuvent s’éclairer qu’à l’aide des Européens, et l’approche des Européens les déprave et les repousse vers la barbarie. Tant qu’on les laisse dans leurs solitudes, ils