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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

d’Américains prétendent même que sous une certaine latitude il finit par leur être mortel, tandis que le nègre s’y soumet sans dangers[1] ; mais je ne pense pas que cette idée, si favorable à la paresse de l’homme du Midi, soit fondée sur l’expérience. Il ne fait pas plus chaud dans le sud de l’Union que dans le sud de l’Espagne et de l’Italie[2]. Pourquoi l’Européen n’y pourrait-il exécuter les mêmes travaux ? Et si l’esclavage a été aboli en Italie et en Espagne sans que les maîtres périssent, pourquoi n’en arriverait-il pas de même dans l’Union ? Je ne crois donc pas que la nature ait interdit, sous peine de mort, aux Européens de la Géorgie ou des Florides de tirer eux-mêmes leur subsistance du sol ; mais ce travail leur serait assurément plus pénible et moins productif[3] qu’aux habitants de la Nouvelle-Angleterre. Le travailleur libre perdant ainsi au Sud une partie de sa supériorité sur l’esclave, il est moins utile d’abolir l’esclavage.

Toutes les plantes de l’Europe croissent dans le nord de l’Union ; le Sud a des produits spéciaux.

  1. Ceci est vrai dans les endroits où l’on cultive le riz. Les rizières, qui sont malsaines en tous pays, sont particulièrement dangereuses dans ceux que le soleil brûlant des tropiques vient frapper. Les Européens auraient bien de la peine à cultiver la terre dans cette partie du Nouveau-Monde, s’ils voulaient s’obstiner à lui faire produire du riz. Mais ne peut-on pas se passer de rizières ?
  2. Ces États sont plus près de l’équateur que l’Italie et l’Espagne, mais le continent de l’Amérique est infiniment plus froid que celui de l’Europe.
  3. L’Espagne fit jadis transporter dans un district de la Louisiane appelé Attakapas, un certain nombre de paysans des Açores. L’esclavage ne fut point introduit parmi eux ; c’était un essai. Aujourd’hui ces hommes cultivent encore la terre sans esclaves ; mais leur industrie est si languissante, qu’elle fournit à peine à leurs besoins.