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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

émancipent les races futures ; de cette manière, on n’introduit les nègres que peu à peu dans la société, et tandis qu’on retient dans la servitude l’homme qui pourrait faire un mauvais usage de son indépendance, on affranchit celui qui, avant de devenir maître de lui-même, peut encore apprendre l’art d’être libre.

Il serait difficile de faire l’application de cette méthode au Sud. Lorsqu’on déclare qu’à partir de certaine époque le fils du nègre sera libre, on introduit le principe et l’idée de la liberté dans le sein même de la servitude : les noirs que le législateur garde dans l’esclavage, et qui voient leurs fils en sortir, s’étonnent de ce partage inégal que fait entre eux la destinée ; ils s’inquiètent et s’irritent. Dès lors, l’esclavage a perdu à leurs yeux l’espèce de puissance morale que lui donnaient le temps et la coutume ; il en est réduit à n’être plus qu’un abus visible de la force. Le Nord n’avait rien à craindre de ce contraste, parce qu’au Nord les Noirs étaient en petit nombre, et les blancs très nombreux. Mais si cette première aurore de la liberté venait à éclairer en même temps deux millions d’hommes, les oppresseurs devraient trembler.

Après avoir affranchi les fils de leurs esclaves, les Européens du Sud seraient bientôt contraints d’étendre à toute la race noire le même bienfait.

Dans le Nord, comme je l’ai dit plus haut, du moment où l’esclavage est aboli, et même du moment où il devient probable que le temps de son abolition approche, il se fait un double mouvement : les escla-