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ÉTAT ACTUEL ET AVENIR DES TROIS RACES.

du Nord s’éloignent des Nègres avec d’autant plus de soin que le législateur marque moins la séparation légale qui doit exister entre eux : pourquoi n’en serait-il pas de même au Sud ? Dans le Nord, quand les blancs craignent d’arriver à se confondre avec les noirs, ils redoutent un danger imaginaire. Au Sud, où le danger serait réel, je ne puis croire que la crainte fût moindre.

Si, d’une part, on reconnaît (et le fait n’est pas douteux) que dans l’extrémité sud, les Noirs s’accumulent sans cesse et croissent plus vite que les blancs ; si, d’une autre, on concède qu’il est impossible de prévoir l’époque où les noirs et les blancs arriveront à se mêler et à retirer de l’état de société les mêmes avantages, ne doit-on pas en conclure que, dans les États du Sud, les noirs et les blancs finiront tôt ou tard par entrer en lutte ?

Quel sera le résultat final de cette lutte ?

On comprendra sans peine que sur ce point il faut se renfermer dans le vague des conjectures. L’esprit humain parvient avec peine à tracer en quelque sorte un grand cercle autour de l’avenir ; mais en dedans de ce cercle s’agite le hasard qui échappe à tous les efforts. Dans le tableau de l’avenir, le hasard forme toujours comme le point obscur où l’œil de l’intelligence ne saurait pénétrer. Ce qu’on peut dire est ceci : dans les Antilles, c’est la race blanche qui semble destinée à succomber ; sur le continent, la race noire.

Dans les Antilles, les blancs sont isolés au milieu d’une immense population de noirs ; sur le continent, les noirs sont placés entre la mer et un peuple in-