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ÉTAT ACTUEL ET AVENIR DES TROIS RACES.

Le danger plus ou moins éloigné, mais inévitable, d’une lutte entre les noirs et les blancs qui peuplent le sud de l’Union, se présente sans cesse comme un rêve pénible à l’imagination des Américains. Les habitants du Nord s’entretiennent chaque jour de ces périls, quoique directement ils n’aient rien à en craindre. Ils cherchent vainement à trouver un moyen de conjurer les malheurs qu’ils prévoient.

Dans les États du Sud, on se tait ; on ne parle point de l’avenir aux étrangers ; on évite de s’en expliquer avec ses amis ; chacun se le cache pour ainsi dire à soi-même. Le silence du Sud a quelque chose de plus effrayant que les craintes bruyantes du Nord.

Cette préoccupation générale des esprits a donné naissance à une entreprise presque ignorée qui peut changer le sort d’une partie de la race humaine.

Redoutant les dangers que je viens de décrire, un certain nombre de citoyens américains se réunirent en société dans le but d’importer à leurs frais sur les côtes de la Guinée les nègres libres qui voudraient échapper à la tyrannie qui pèse sur eux[1].

En 1820, la société dont je parle parvint à fonder en Afrique, par le 7e degré de latitude nord, un établissement auquel elle donna le nom de Liberia. Les dernières nouvelles annonçaient que deux mille cinq cents nègres se trouvaient déjà réunis sur ce point. Transportés dans leur ancienne patrie, les noirs y ont introduit des institutions américaines. Liberia a un sys-

  1. Cette société prit le nom de Société de la Colonisation des noirs.

    Voyez ses rapports annuels, et notamment le quinzième. Voyez aussi la brochure déjà indiquée intitulée : Letters on the colonisation Society and on its probable results, par M. Carey. Philadelphie, avril 1833.