Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 2.djvu/356

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
353
ÉTAT ACTUEL ET AVENIR DES TROIS RACES.

aventuriers impatients de toute espèce de joug, avides de richesses, souvent rejetés par les États qui les ont vus naître. Ils arrivent au milieu du désert sans se connaître les uns les autres. Ils n’y trouvent pour les contenir ni traditions, ni esprit de famille, ni exemples. Parmi eux, l’empire des lois est faible, et celui des mœurs plus faible encore. Les hommes qui peuplent chaque jour les vallées du Mississipi sont donc inférieurs, à tous égards, aux Américains qui habitent dans les anciennes limites de l’Union. Cependant ils exercent déjà une grande influence dans ses conseils, et ils arrivent au gouvernement des affaires communes avant d’avoir appris à se diriger eux-mêmes[1].

Plus les sociétaires sont individuellement faibles et plus la société a de chances de durée, car ils n’ont alors de sécurité qu’en restant unis. Quand, en 1790, la plus peuplée des républiques américaines n’avait pas 500,000 habitants[2], chacune d’elles sentait son insignifiance comme peuple indépendant, et cette pensée lui rendait plus aisée l’obéissance à l’autorité fédérale. Mais lorsque l’un des États confédérés compte 2,000,000 d’habitants comme l’État de New-York, et couvre un territoire dont la superficie est égale au quart de celle de la France[3], il se sent fort par lui-même, et s’il continue à désirer l’union comme utile à son bien-être, il ne la regarde plus comme nécessaire à son existence ; il peut se passer

  1. Ceci n’est, il est vrai, qu’un péril passager. Je ne doute pas qu’avec le temps la société ne vienne à s’asseoir et à se régler dans l’Ouest comme elle l’a déjà fait sur les bords de l’océan Atlantique.
  2. La Pennsylvanie, avait 431,373 habitants en 1790.
  3. Superficie de l’État de New-York, 6,213 lieus carrés (500 milles carrés.) Voyez View of United States, by Darby, p. 435.