Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 2.djvu/384

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
381
ÉTAT ACTUEL ET AVENIR DES TROIS RACES.

entre en lutte avec celui de l’Union, il est rare que le président ne soit pas le premier à douter de son droit ; il devance presque toujours le pouvoir législatif ; quand il y a lieu à interprétation sur l’étendue de la puissance fédérale, il se range en quelque sorte contre lui-même ; il s’amoindrit, il se voile, il s’efface. Ce n’est point qu’il soit naturellement faible ou ennemi de l’Union ; lorsque la majorité s’est prononcée contre les prétentions des nullificateurs du Sud, on l’a vu se mettre à sa tête, formuler avec netteté et énergie les doctrines qu’elle professait et en appeler le premier à la force. Le général Jackson, pour me servir d’une comparaison empruntée au vocabulaire des partis américains, me semble fédéral par goût et républicain par calcul.

Après s’être ainsi abaissé devant la majorité pour gagner sa faveur, le général Jackson se relève ; il marche alors vers les objets qu’elle poursuit elle-même, ou ceux qu’elle ne voit pas d’un œil jaloux, en renversant devant lui tous les obstacles. Fort d’un appui que n’avaient point ses prédécesseurs, il foule aux pieds ses ennemis personnels partout où il les trouve, avec une facilité qu’aucun président n’a rencontrée ; il prend sous sa responsabilité des mesures que nul n’aurait jamais avant lui osé prendre ; il lui arrive même de traiter la représentation nationale avec une sorte de dédain presque insultant ; il refuse de sanctionner les lois du congrès, et souvent omet de répondre à ce grand corps. C’est un favori qui parfois rudoie son maître. Le pouvoir du général Jackson augmente donc sans cesse ; mais celui du président diminue. Dans ses mains, le gouvernement