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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

à Washington, vous vous sentez frappé de l’aspect vulgaire de cette grande assemblée. L’œil cherche souvent en vain dans son sein un homme célèbre. Presque tous ses membres sont des personnages obscurs, dont le nom ne fournit aucune image à la pensée. Ce sont, pour la plupart, des avocats de village, des commerçants, ou même des hommes appartenant aux dernières classes. Dans un pays où l’instruction est presque universellement répandue, on dit que les représentants du peuple ne savent pas toujours correctement écrire.

À deux pas de là s’ouvre la salle du sénat, dont l’étroite enceinte renferme une grande partie des célébrités de l’Amérique. À peine y aperçoit-on un seul homme qui ne rappelle l’idée d’une illustration récente. Ce sont d’éloquents avocats, des généraux distingués, d’habiles magistrats, ou des hommes d’État connus. Toutes les paroles qui s’échappent de cette assemblée feraient honneur aux plus grands débats parlementaires d’Europe.

D’où vient ce bizarre contraste ? Pourquoi l’élite de la nation se trouve-t-elle dans cette salle plutôt que dans cette autre ? Pourquoi la première assemblée réunit-elle tant d’éléments vulgaires, lorsque la seconde semble avoir le monopole des talents et des lumières ? L’une et l’autre cependant émanent du peuple, l’une et l’autre sont le produit du suffrage universel, et nulle voix, jusqu’à présent, ne s’est élevée en Amérique pour soutenir que le sénat fût ennemi des intérêts populaires. D’où vient donc une si énorme différence ? Je ne vois qu’un seul fait qui l’explique : l’élection qui produit la Chambre des re-