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DU GOUVERNEMENT DE LA DÉMOCRATIE.

stant ses volontés aux gouvernants, elle aime mieux les abandonner à leurs propres efforts que de les enchaîner à une règle invariable qui, en les bornant, la bornerait en quelque sorte elle-même.

On découvre même, en y regardant de près, que, sous l’empire de la démocratie, l’arbitraire du magistrat doit être plus grand encore que dans les États despotiques.

Dans ces États, le souverain peut punir en un moment toutes les fautes qu’il aperçoit ; mais il ne saurait se flatter d’apercevoir toutes les fautes qu’il devrait punir. Dans les démocraties, au contraire, le souverain, en même temps qu’il est tout-puissant, est partout à la fois : aussi voit-on que les fonctionnaires américains sont bien plus libres dans le cercle d’action que la loi leur trace qu’aucun fonctionnaire d’Europe. Souvent on se borne à leur montrer le but vers lequel ils doivent tendre, les laissant maîtres de choisir les moyens.

Dans la Nouvelle-Angleterre, par exemple, on s’en rapporte aux select-men de chaque commune du soin de former la liste du jury ; la seule règle qu’on leur trace est celle-ci : ils doivent choisir les jurés parmi les citoyens qui jouissent des droits électoraux et qui ont une bonne réputation[1].

En France, nous croirions la vie et la liberté des hommes en péril si nous confiions à un fonctionnaire, quel qu’il fût, l’exercice d’un droit aussi redoutable.

Dans la Nouvelle-Angleterre, ces mêmes magistrats

  1. Voyez loi du 27 février 1813. Collection générale des lois du Massachusetts, vol. 2, p. 331. On doit dire qu’ensuite les jurés sont tirés au sort sur les listes.