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DU GOUVERNEMENT DE LA DÉMOCRATIE.

marine marchande, se recrute à l’aide d’engagements volontaires.

Or, il n’est pas facile de concevoir qu’un peuple puisse soutenir une grande guerre maritime sans recourir à l’un des deux moyens indiqués plus haut : aussi l’Union, qui a déjà combattu sur mer avec gloire, n’a-t-elle jamais eu cependant des flottes nombreuses, et l’armement du petit nombre de ses vaisseaux lui a-t-il toujours coûté très cher.

J’ai entendu des hommes d’État américains avouer que l’Union aura peine à maintenir son rang sur les mers, si elle ne recourt pas à la presse ou à l’inscription maritime ; mais la difficulté est d’obliger le peuple, qui gouverne, à souffrir la presse ou l’inscription maritime.

Il est incontestable que les peuples libres déploient en général, dans les dangers, une énergie infiniment plus grande que ceux qui ne le sont pas, mais je suis porté à croire que ceci est surtout vrai des peuples libres chez lesquels domine l’élément aristocratique. La démocratie me paraît bien plus propre à diriger une société paisible, ou à faire au besoin un subit et vigoureux effort, qu’à braver pendant long-temps les grands orages de la vie politique des peuples. La raison en est simple : les hommes s’exposent aux dangers et aux privations par enthousiasme, mais ils n’y restent longtemps exposés que par réflexion. Il y a dans ce qu’on appelle le courage instinctif lui-même, plus de calcul qu’on ne pense ; et quoique les passions seules fassent faire, en général, les premiers efforts, c’est en vue du résultat qu’on les continue. On risque une partie de ce qui est cher pour sauver le reste.