Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 3.djvu/151

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
142
INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

l’imagination des poëtes sur la terre, et les renferme dans le monde visible et réel.

Lors même que l’égalité n’ébranle point les religions, elle les simplifie ; elle détourne l’attention des agents secondaires, pour la porter principalement sur le souverain maître.

L’aristocratie conduit naturellement l’esprit humain à la contemplation du passé, et l’y fixe. La démocratie, au contraire, donne aux hommes une sorte de dégoût instinctif pour ce qui est ancien. En cela, l’aristocratie est bien plus favorable à la poésie ; car les choses grandissent d’ordinaire et se voilent à mesure qu’elles s’éloignent ; et, sous ce double rapport, elles prêtent davantage à la peinture de l’idéal.

Après avoir ôté à la poésie le passé, l’égalité lui enlève en partie le présent.

Chez les peuples aristocratiques, il existe un certain nombre d’individus privilégiés, dont l’existence est pour ainsi dire en dehors et au-dessus de la condition humaine ; le pouvoir, la richesse, la gloire, l’esprit, la délicatesse et la distinction en toutes choses paraissent appartenir en propre à ceux-là. La foule ne les voit jamais de fort près ; ou ne les suit point dans les détails ; on a peu à faire pour rendre poétique la peinture de ces hommes.

D’une autre part, il existe chez ces mêmes