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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

vers la nature inanimée. Perdant de vue les héros et les dieux, ils entreprirent d’abord de peindre des fleuves et des montagnes.

Cela donna naissance, dans le siècle dernier, à la poésie qu’on a appelée, par excellence, descriptive.

Quelques-uns ont pensé que cette peinture, embellie des choses matérielles et inanimées qui couvrent la terre, était la poésie propre aux siècles démocratiques ; mais je pense que c’est une erreur. Je crois qu’elle ne représente qu’une époque de passage.

Je suis convaincu qu’à la longue la démocratie détourne l’imagination de tout ce qui est extérieur à l’homme, pour ne la fixer que sur l’homme.

Les peuples démocratiques peuvent bien s’amuser un moment à considérer la nature ; mais ils ne s’animent réellement qu’à la vue d’eux-mêmes. C’est de ce côté seulement que se trouvent chez ces peuples les sources naturelles de la poésie, et il est permis de croire que tous les poëtes qui ne voudront point y puiser perdront tout empire sur l’âme de ceux qu’ils prétendent charmer, et qui finiront par ne plus avoir que de froids témoins de leurs transports.

J’ai fait voir comment l’idée du progrès et de la perfectibilité indéfinie de l’espèce humaine était propre aux âges démocratiques.