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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

se rapprochent de mon sujet, et que je dois indiquer.

Quand les richesses sont fixées héréditairement dans les mêmes familles, on voit un grand nombre d’hommes qui jouissent du bien-être matériel, sans ressentir le goût exclusif du bien-être.

Ce qui attache le plus vivement le cœur humain, ce n’est point la possession paisible d’un objet précieux, mais le désir imparfaitement satisfait de le posséder et la crainte incessante de le perdre.

Dans les sociétés aristocratiques, les riches, n’ayant jamais connu un état différent du leur, ne redoutent point d’en changer ; à peine s’ils en imaginent un autre. Le bien-être matériel n’est donc point pour eux le but de la vie ; c’est une manière de vivre. Ils le considèrent, en quelque sorte, comme l’existence, et en jouissent sans y songer.

Le goût naturel et instinctif que tous les hommes ressentent pour le bien-être, étant ainsi satisfait sans peine et sans crainte, leur âme se porte ailleurs et s’attache à quelque entreprise plus difficile et plus grande, qui l’anime et l’entraîne.

C’est ainsi qu’au sein même des jouissances matérielles, les membres d’une aristocratie font souvent voir un mépris orgueilleux pour ces mêmes jouissances et trouvent des forces singulières quand il faut enfin s’en priver. Toutes les révolutions, qui ont troublé ou détruit les aristocraties,