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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

points aux animaux, un trait n’est particulier qu’à lui seul : il se perfectionne, et eux ne se perfectionnent point. L’espèce humaine n’a pu manquer de découvrir dès l’origine cette différence. L’idée de la perfectibilité est donc aussi ancienne que le monde ; l’égalité ne l’a point fait naître, mais elle lui donne un caractère nouveau.

Quand les citoyens sont classés suivant le rang, la profession, la naissance, et que tous sont contraints de suivre la voie à l’entrée de laquelle le hasard les a placés, chacun croit apercevoir près de soi les dernières bornes de la puissance humaine, et nul ne cherche plus à lutter contre une destinée inévitable. Ce n’est pas que les peuples aristocratiques refusent absolument à l’homme la faculté de se perfectionner ; ils ne la jugent point indéfinie ; ils conçoivent l’amélioration, non le changement ; ils imaginent la condition des sociétés à venir meilleure, mais non point autre, et, tout en admettant que l’humanité a fait de grands progrès et qu’elle peut en faire quelques uns encore, ils la renferment d’avance dans de certaines limites infranchissables.

Ils ne croient donc point être parvenus au souverain bien et à la vérité absolue (quel homme ou quel peuple a été assez insensé pour