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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

ne saurait s’en montrer privé, sans déshonneur.

Je trouve un dernier trait : il achèvera de mettre en relief l’idée de ce chapitre.

Dans une société démocratique, comme celle des États-Unis, où les fortunes sont petites et mal assurées, tout le monde travaille, et le travail mène à tout. Cela a retourné le point d’honneur et l’a dirigé contre l’oisiveté.

J’ai rencontré quelquefois en Amérique des gens riches, jeunes, ennemis par tempérament de tout effort pénible, et qui étaient forcés de prendre une profession. Leur nature et leur fortune leur permettaient de rester oisifs ; l’opinion publique le leur défendait impérieusement, et il lui fallait obéir. J’ai souvent vu au contraire chez les nations européennes où l’aristocratie lutte encore contre le torrent qui l’entraîne, j’ai vu, dis-je, des hommes que leurs besoins et leurs désirs aiguillonnaient sans cesse, demeurer dans l’oisiveté pour ne point perdre l’estime de leurs égaux, et se soumettre plus aisément à l’ennui et à la gêne qu’au travail.

Qui n’aperçoit dans ces deux obligations si contraires, deux règles différentes qui pourtant l’une et l’autre émanent de l’honneur.

Ce que nos pères ont appelé par excellence l’honneur, n’était, à vrai dire, qu’une de ses formes. Ils ont donné un nom générique à ce qui n’était qu’une espèce. L’honneur se retrouve donc