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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

quelques grands désirs mal réglés: tel est d’ordinaire le tableau que présentent les nations démocratiques. Une ambition proportionnée, modérée et vaste, ne s’y rencontre guère.

J’ai montré ailleurs par quelle force secrète l’égalité faisait prédominer, dans le cœur humain, la passion des jouissances matérielles, et l’amour exclusif du présent ; ces différents instincts se mêlent au sentiment de l’ambition, et le teignent, pour ainsi dire, de leurs couleurs.

Je pense que les ambitieux des démocraties se préoccupent moins que tous les autres des intérêts et des jugements de l’avenir : le moment actuel les occupe seul et les absorbe. Ils achèvent rapidement beaucoup d’entreprises, plutôt qu’ils n’élèvent quelques monuments très-durables ; ils aiment le succès bien plus que la gloire. Ce qu’ils demandent surtout des hommes, c’est l’obéissance. Ce qu’ils veulent avant tout, c’est l’empire. Leurs mœurs sont presque toujours restées moins hautes que leur condition  ; ce qui fait qu’ils transportent très-souvent dans une fortune extraordinaire des goûts très-vulgaires, et qu’ils semblent ne s’être élevés au souverain pouvoir que pour se procurer plus aisément de petits et grossiers plaisirs.

Je crois que de nos jours il est fort nécessaire d’épurer, de régler et de proportionner le sentiment