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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

Ce n’est pas que les hommes des démocraties soient naturellement fort convaincus de la certitude de leurs opinions, et très-fermes dans leurs croyances ; ils ont souvent des doutes que personne, à leurs yeux, ne peut résoudre. Il arrive quelquefois dans ce temps-là que l’esprit humain changerait volontiers de place ; mais, comme rien ne le pousse puissamment ni ne le dirige, il oscille sur lui-même et ne se meut pas[1].

Lorsqu’on a acquis la confiance d’un peuple

  1. Si je recherche quel est l’état de société le plus favorable aux grandes révolutions de l’intelligence, je trouve qu’il se rencontre quelque part entre l’égalité complète de tous les citoyens et la séparation absolue des classes.

    Sous le régime des castes, les générations se succèdent sans que les hommes changent de place ; les uns n’attendent rien de plus, et les autres n’espèrent rien de mieux. L’imagination s’endort au milieu de ce silence et de cette immobilité universelle, et l’idée même du mouvement ne s’offre plus à l’esprit humain.

    Quand les classes ont été abolies et que les conditions sont devenues presque égales, tous les hommes s’agitent sans cesse, mais chacun d’eux est isolé, indépendant et faible. Ce dernier état diffère prodigieusement du premier ; cependant, il lui est analogue en un point. Les grandes révolutions de l’esprit humain y sont fort rares.

    Mais entre ces deux extrémités de l’histoire des peuples, se rencontre un âge intermédiaire, époque glorieuse et troublée, où les conditions ne sont pas assez fixes pour que l’intelligence sommeille, et où elles sont assez inégales pour que les hommes exercent un très-grand pouvoir sur l’esprit les uns des autres, et que quelques uns puissent modifier les croyances de tous. C’est alors que les puissant réformateurs s’élèvent, et que de nouvelles idées changent tout à coup la face du monde.