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SUR LES MOEURS PROPREMENT DITES.

souvent d’elle-même à proportion que le péril la rend nécessaire. La discipline d’une armée aristocratique se relâche volontiers dans la guerre, parce que cette discipline se fonde sur les habitudes, et que la guerre trouble ces habitudes. La discipline d’une armée démocratique se raffermit au contraire devant l’ennemi, parce que chaque soldat voit alors très-clairement qu’il faut se taire et obéir pour pouvoir vaincre.

Les peuples qui ont fait les choses les plus considérables par la guerre, n’ont point connu d’autre discipline que celle dont je parle. Chez les anciens, on ne recevait dans les armées que des hommes libres et des citoyens, lesquels différaient peu les uns des autres, et étaient accoutumés à se traiter en égaux. Dans ce sens, on peut dire que les armées de l’antiquité étaient démocratiques, bien qu’elles sortissent du sein de l’aristocratie ; aussi régnait-il dans ces armées une sorte de confraternité familière entre l’officier et le soldat. On s’en convainc en lisant la Vie des grands capitaines de Plutarque. Les soldats y parlent sans cesse et fort librement à leurs généraux, et ceux-ci écoutent volontiers les discours de leurs soldats, et y répondent. C’est par des paroles et des exemples, bien plus que par la contrainte et les châtiments, qu’ils les conduisent. On dirait des compagnons autant que des chefs.