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SUR LA SOCIÉTÉ POLITIQUE.

au hasard ; remontez, s’il se peut, à ses instincts primitifs : vous découvrirez que, parmi les différents gouvernements, celui qu’il conçoit d’abord, et qu’il prise le plus c’est le gouvernement dont il a élu le chef et dont il contrôle les actes.

De tous les effets politiques que produit l’égalité des conditions, c’est cet amour de l’indépendance qui frappe le premier les regards et dont les esprits timides s’effrayent davantage, et l’on ne peut dire qu’ils aient absolument tort de le faire, car l’anarchie a des traits plus effrayants dans les pays démocratiques qu’ailleurs. Comme les citoyens n’ont aucune action les uns sur les autres, à l’instant où le pouvoir national qui les contient tous à leur place vient à manquer, il semble que le désordre doit être aussitôt à son comble, et que, chaque citoyen s’écartant de son côté, le corps social va tout à coup se trouver réduit en poussière.

Je suis convaincu toutefois que l’anarchie n’est pas le mal principal que les siècles démocratiques doivent craindre, mais le moindre.

L’égalité produit, en effet, deux tendances : l’une mène directement les hommes à l’indépendance, et peut les pousser tout à coup jusqu’à l’anarchie ; l’autre les conduit par un chemin plus long, plus secret, mais plus sûr, vers la servitude.

Les peuples voient aisément la première et y résistent ; ils se laissent entraîner par l’autre sans