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SUR LA SOCIÉTÉ POLITIQUE.

Ces penchants opposés de l’intelligence finissent, de part et d’autre, par devenir des instincts si aveugles et des habitudes si invincibles qu’ils dirigent encore les actions, en dépit des faits particuliers. Il se rencontrait quelquefois, malgré l’immense variété du moyen âge, des individus parfaitement semblables : ce qui n’empêchait pas que le législateur n’assignât à chacun d’eux des devoirs divers et des droits différents. Et, au contraire, de nos jours, des gouvernements s’épuisent, afin d’imposer les mêmes usages et les mêmes lois à des populations qui ne se ressemblent point encore.

À mesure que les conditions s’égalisent chez un peuple, les individus paraissent plus petits et la société semble plus grande, ou plutôt chaque citoyen, devenu semblable à tous les autres, se perd dans la foule, et l’on n’aperçoit plus que la vaste et magnifique image du peuple lui-même.

Cela donne naturellement aux hommes des temps démocratiques une opinion très-haute des privilèges de la société et une idée fort humble des droits de l’individu. Ils admettent aisément que l’intérêt de l’un est tout et que celui de l’autre n’est rien. Ils accordent assez volontiers que le pouvoir qui représente la société possède beaucoup plus de lumières et de sagesse qu’aucun des hommes qui le composent, et que son devoir, aussi bien