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SUR LES MOEURS PROPREMENT DITES.

Nous voyons tous les jours en Europe que les hommes d’une même profession s’entraident volontiers ; ils sont tous exposés aux mêmes maux ; cela suffit pour qu’ils cherchent mutuellement à s’en garantir, quelque durs ou égoïstes qu’ils soient d’ailleurs. Lors donc que l’un d’eux est en péril, et que, par un petit sacrifice passager ou un élan soudain, les autres peuvent l’y soustraire, ils ne manquent pas de le tenter. Ce n’est point qu’ils s’intéressent profondément à son sort ; car, si, par hasard, les efforts qu’ils font pour le secourir sont inutiles, ils l’oublient aussitôt, et retournent à eux-mêmes ; mais il s’est fait entre eux une sorte d’accord tacite et presque involontaire, d’après lequel chacun doit aux autres un appui momentané qu’à son tour il pourra réclamer lui-même.

Étendez à un peuple ce que je dis d’une classe seulement, et vous comprendrez ma pensée.

Il existe en effet parmi tous les citoyens d’une démocratie, une convention analogue à celle dont je parle ; tous se sentent sujets à la même faiblesse et aux mêmes dangers, et leur intérêt, aussi bien que leur sympathie, leur fait une loi de se prêter au besoin une mutuelle assistance.

Plus les conditions deviennent semblables et plus les hommes laissent voir cette disposition réciproque à s’obliger.