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INFLUENCE DES IDÉES DÉMOCRATIQUES

discerner ce qui doit passer avec la révolution elle-même, et ce qui doit rester après elle.

Le monde qui s’élève est encore à moitié engagé sous les débris du monde qui tombe, et, au milieu de l’immense confusion que présentent les affaires humaines, nul ne saurait dire ce qui restera debout des vieilles institutions et des anciennes mœurs, et ce qui achèvera d’en disparaître.

Quoique la révolution qui s’opère dans l’état social, les lois, les idées, les sentiments des hommes, soit encore bien loin d’être terminée, déjà on ne saurait comparer ses œuvres avec rien de ce qui s’est vu précédemment dans le monde. Je remonte de siècle en siècle jusqu’à l’antiquité la plus reculée ; je n’aperçois rien qui ressemble à ce qui est sous mes yeux. Le passé n’éclairant plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres.

Cependant, au milieu de ce tableau si vaste, si nouveau, si confus, j’entrevois déjà quelques traits principaux qui se dessinent, et je les indique :

Je vois que les biens et les maux se répartissent assez également dans le monde. Les grandes richesses disparaissent ; le nombre des petites fortunes s’accroît ; les désirs et les jouissances se multiplient ; il n’y a plus de prospérités extraordinaires ni de misères irrémédiables. L’ambition est un sentiment universel ; il y a peu d’ambitions vastes. Chaque individu est isolé et faible ; la société est