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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

considère comme parfaitement égal à ses chefs, et il l’est en effet ; mais sous le drapeau il ne fait nulle difficulté d’obéir, et son obéissance, pour être volontaire et définie, n’est pas moins prompte, nette et facile.

Ceci donne une idée de ce qui se passe dans les sociétés démocratiques entre le serviteur et le maître.

Il serait insensé de croire qu’il pût jamais naître entre ces deux hommes aucune de ces affections ardentes et profondes qui s’allument quelquefois au sein de la domesticité aristocratique, ni qu’on dût y voir apparaître des exemples éclatants de dévouement.

Dans les aristocraties, le serviteur et le maître ne s’aperçoivent que de loin en loin, et souvent ils ne se parlent que par intermédiaire. Cependant ils tiennent d’ordinaire fermement l’un à l’autre.

Chez les peuples démocratiques, le serviteur et le maître sont fort proches ; leurs corps se touchent sans cesse ; leurs âmes ne se mêlent point ; ils ont des occupations communes, ils n’ont presque jamais d’intérêts communs.

Chez ces peuples, le serviteur se considère toujours comme un passant dans la demeure de ses maîtres. Il n’a pas connu leurs aïeux ; il ne verra pas leurs descendants ; il n’a rien à en attendre de durable. Pourquoi confondrait-il son existence