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INFLUENCE DE LA DÉMOCRATIE

Une aristocratie ne meurt point comme un homme en un jour. Son principe se détruit lentement au fond des âmes, avant d’être attaqué dans les lois. Longtemps donc avant que la guerre n’éclate contre elle, on voit se desserrer peu à peu le lien qui jusqu’alors avait uni les hautes classes aux basses. L’indifférence et le mépris se trahissent d’un côté ; de l’autre la jalousie et la haine : les rapports entre le pauvre et le riche deviennent plus rares et moins doux ; le prix des baux s’élève. Ce n’est point encore le résultat de la révolution démocratique, mais c’en est la certaine annonce. Car une aristocratie qui a laissé échapper définitivement de ses mains le cœur du peuple, est comme un arbre mort dans ses racines, et que les vents renversent d’autant plus aisément qu’il est plus haut.

Depuis cinquante ans, le prix des fermages s’est prodigieusement accru, non seulement en France, mais dans la plus grande partie de l’Europe. Les progrès singuliers qu’ont faits l’agriculture et l’industrie, durant la même période, ne suffisent point, à mon sens, pour expliquer ce phénomène. Il faut recourir à quelque autre cause plus puissante et plus cachée. Je pense que cette cause doit être recherchée dans les institutions démocratiques que plusieurs peuples européens ont adoptées, et dans les passions démocratiques qui agitent plus ou moins tous les autres.