Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/117

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tent que trop souvent les plaintes les plus justes ; formalités cependant toutes nécessaires », ajoute-t-il.

Je croyais que le goût de la statistique était particulier aux administrateurs de nos jours ; mais je me trompais. Vers la fin de l’ancien régime, on envoie souvent à l’intendant de petits tableaux tout imprimés qu’il n’a plus qu’à faire remplir par ses subdélégués et par les syndics des paroisses. Le contrôleur-général se fait faire des rapports sur la nature des terres, sur leur culture, l’espèce et la quantité des produits, le nombre des bestiaux, l’industrie et les mœurs des habitants. Les renseignements ainsi obtenus ne sont guère moins circonstanciés ni plus certains que ceux que fournissent en pareils cas de nos jours les sous-préfets et les maires. Le jugement que les subdélégués portent, à cette occasion, sur le caractère de leurs administrés, est en général peu favorable. Ils reviennent souvent sur cette opinion que « le paysan est naturellement paresseux, et ne travaillerait pas s’il n’y était obligé pour vivre. »

C’est là une doctrine économique qui paraît fort répandue chez ces administrateurs.

Il n’y a pas jusqu’à la langue administrative des deux époques qui ne se ressemble d’une manière frappante. Des deux parts, le style est également décoloré, coulant, vague et mou ; la physionomie particulière de chaque écrivain s’y efface et va se perdant dans une médiocrité commune. Qui lit un préfet lit un intendant.

Seulement, vers la fin du siècle, quand le langage particulier de Diderot et de Rousseau a eu le temps de