Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/120

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

circulaire, rendre cette feuille intéressante et lui assurer la supériorité sur toutes les autres. En conséquence, ajoute le ministre, vous voudrez bien m’adresser un bulletin de tout ce qui se passe dans votre généralité de nature à intéresser la curiosité publique, particulièrement ce qui se rapporte à la physique, à l’histoire naturelle, faits singuliers et intéressants. » À la circulaire est joint un prospectus dans lequel on annonce que la nouvelle gazette, quoique paraissant plus souvent et contenant plus de matière que le journal qu’elle remplace, coûtera aux abonnés beaucoup moins.

Muni de ces documents, l’intendant écrit à ses subdélégués et les met à l’œuvre  ; mais ceux-ci commencent par répondre qu’ils ne savent rien. Survient une nouvelle lettre du ministre, qui se plaint amèrement de la stérilité de la province. « Sa Majesté m’ordonne de vous dire que son intention est que vous vous occupiez très-sérieusement de cette affaire et donniez les ordres les plus précis à vos agents. » Les subdélégués s’exécutent alors : l’un d’eux mande qu’un contrebandier en saunage (contrebande de sel) a été pendu et a montré un grand courage ; un autre, qu’une femme de son arrondissement est accouchée à la fois de trois filles ; un troisième, qu’il a éclaté un terrible orage, qui, il est vrai, n’a causé aucun mal. Il y en a un qui déclare que, malgré tous ses soins, il n’a rien découvert qui fût digne d’être signalé, mais qu’il s’abonne lui-même à une gazette si utile et va inviter tous les honnêtes gens à l’imiter. Tant d’efforts semblent cependant peu efficaces ;