Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/158

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donc, au contraire, sans mesure ; elle s’aigrissait de toute l’envie que le nouveau noble inspirait à ses anciens égaux. C’est ce qui fait que le tiers-état dans ses doléances montre toujours plus d’irritation contre les anoblis que contre les nobles, et que, loin de demander qu’on élargisse la porte qui peut le conduire hors de la roture, il demande sans cesse qu’elle soit rétrécie.

À aucune époque de notre histoire la noblesse n’avait été aussi facilement acquise qu’en 89, et jamais le bourgeois et le gentilhomme n’avaient été aussi séparés l’un de l’autre. Non-seulement les nobles ne veulent souffrir dans leurs collèges électoraux rien qui sente la bourgeoisie, mais les bourgeois écartent avec le même soin tous ceux qui peuvent avoir l’apparence de gentilhomme. Dans certaines provinces, les nouveaux anoblis sont repoussés d’un côté parce qu’on ne les juge pas assez nobles, et de l’autre parce qu’on trouve qu’ils le sont déjà trop. Ce fut, dit-on, le cas du célèbre Lavoisier.

Que si, laissant de côté la noblesse, nous considérons maintenant cette bourgeoisie, nous allons voir un spectacle tout semblable, et le bourgeois presque aussi à part du peuple que le gentilhomme était à part du bourgeois.

La presque totalité de la classe moyenne dans l’ancien régime habitait les villes. Deux causes avaient surtout produit cet effet : les privilèges des gentilshommes et la taille. Le seigneur qui résidait dans ses terres montrait d’ordinaire une certaine bonhomie familière envers les paysans ; mais son insolence vis-à-vis des bourgeois