Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/173

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Il est vrai que, dès ce temps-là, l’impôt direct, connu sous le nom de taille, ne pesait jamais sur le gentilhomme. L’obligation du service militaire gratuit en dispensait celui-ci ; mais la taille, comme impôt général, était alors d’un usage restreint, plutôt applicable à la seigneurie qu’au royaume.

Quand le roi entreprit pour la première fois de lever des taxes de sa propre autorité, il comprit qu’il fallait d’abord en choisir une qui ne parût pas frapper directement sur les nobles ; car ceux-ci, qui formaient alors pour la royauté de classe rivale et dangereuse, n’eussent jamais souffert une nouveauté qui leur eût été si préjudiciable  ; il fit donc choix d’un impôt dont ils étaient exempts ; il prit la taille.

A toutes les inégalités particulières qui existaient déjà, s’en joignit ainsi une plus générale, qui aggrava et maintint toutes les autres. À partir de là, à mesure que les besoins du trésor public croissent avec les attributions du pouvoir central, la taille s’étend et se diversifie ; bientôt elle est décuplée, et toutes les nouvelles taxes deviennent des tailles. Chaque année l’inégalité d’impôt sépare donc les classes et isole les hommes plus profondément qu’ils n’avaient été isolés jusque-là. Du moment que l’impôt avait pour objet, non d’atteindre les plus capables de le payer, mais les plus incapables de s’en défendre, on devait être amené à cette conséquence monstrueuse de l’épargner au riche et d’en charger le pauvre. On assure que Mazarin, manquant d’argent, imagina d’établir une taxe sur les principales