Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/179

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nauté de s’y réunir. Cette misérable affaire produisit trois cent mille livres. »

Nous avons vu comment on bouleversa toute la constitution des villes, non par vue politique, mais dans l’espoir de procurer quelques ressources au trésor.

C’est à ce même besoin d’argent, joint à l’envie de n’en point demander aux États, que la vénalité des charges dut sa naissance, et devint peu à peu quelque chose de si étrange, qu’on n’avait jamais rien vu de pareil dans le monde. Grâce à cette institution que l’esprit de fiscalité avait fait naître, la vanité du tiers-état fut tenue pendant trois siècles en haleine et uniquement dirigée vers l’acquisition des fonctions publiques, et l’on fit pénétrer jusqu’aux entrailles de la nation cette passion universelle des places, qui devint la source commune des révolutions et de la servitude.

À mesure que les embarras financiers s’accroissaient, on voyait naître de nouveaux emplois, tous rétribués par des exemptions d’impôts ou des privilèges ; et, comme c’étaient les besoins du trésor, et non ceux de l’administration, qui en décidaient, on arriva de cette manière à instituer un nombre presque incroyable de fonctions entièrement inutiles ou nuisibles. Dès 1664, lors de l’enquête faite par Colbert, il se trouva que le capital engagé dans cette misérable propriété s’élevait à près de cinq cents millions de livres. Richelieu détruisit, dit-on, cent mille offices. Ceux-ci renaissaient aussitôt sous d’autres noms. Pour un peu d’argent, on s’ôta le droit de diriger, de contrôler et de contraindre ses propres agents.