Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/182

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commune, et que le gouvernement ne se trouvât jamais avoir affaire à la fois qu’à un très-petit nombre d’hommes séparés de tous les autres. Pendant tout le cours de cette longue histoire, où l’on voit successivement paraître tant de princes remarquables, plusieurs par l’esprit, quelques-uns par le génie, presque tous par le courage, on n’en rencontre pas un seul qui fasse effort pour rapprocher les classes et les unir autrement qu’en les soumettant toutes à une égale dépendance. Je me trompe : un seul l’a voulu et s’y est même appliqué de tout son cœur ; et celui-là, qui pourrait sonder les jugements de Dieu ! ce fut Louis XVI.

La division des classes fut le crime de l’ancienne royauté, et devint plus tard son excuse ; car, quand tous ceux qui composent la partie riche et éclairée de la nation ne peuvent plus s’entendre et s’entr’aider dans le gouvernement, l’administration du pays par lui-même est comme impossible, et il faut qu’un maître intervienne.

« La nation, dit Turgot avec tristesse dans un rapport secret au roi, est une société composée de différents ordres mal unis et d’un peuple dont les membres n’ont entre eux que très-peu de liens, et où, par conséquent, personne n’est occupé que de son intérêt particulier. Nulle part il n’y a d’intérêt commun visible. Les villages, les villes, n’ont pas plus de rapports mutuels que les arrondissements auxquels ils sont attribués. Ils ne peuvent s’entendre entre eux pour mener des travaux publics qui leur sont nécessaires. Dans cette