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Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/187

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Le gouvernement ne disposait pas encore non plus de cette multitude infinie de faveurs, de secours, d’honneurs et d’argent qu’il peut distribuer aujourd’hui ; il avait donc bien moins de moyens de séduire aussi bien que de contraindre.

Lui-même, d’ailleurs, connaissait mal les bornes exactes de son pouvoir. Aucun de ses droits n’était régulièrement reconnu ni solidement établi ; sa sphère d’action était immense, mais il y marchait encore d’un pas incertain, comme dans un lieu obscur et inconnu. Ces ténèbres redoutables, qui cachaient alors les limites de tous les pouvoirs et régnaient autour de tous les droits, favorables aux entreprises des princes contre la liberté des sujets, l’étaient souvent à sa défense.

L’administration, se sentant de date récente et de petite naissance, était toujours timide dans ses démarches, pour peu qu’elle rencontrât un obstacle sur son chemin. C’est un spectacle qui frappe, quand on lit la correspondance des ministres et des intendants du dix-huitième siècle, de voir comme ce gouvernement, si envahissant et si absolu tant que l’obéissance n’est pas contestée, demeure interdit à la vue de la moindre résistance, comme la plus légère critique le trouble, comme le plus petit bruit l’effarouche, et comme alors il s’arrête, il hésite, parlemente, prend des tempéraments et demeure souvent bien en deçà des limites naturelles de sa puissance. Le mol égoïsme de Louis XV et la bonté de son successeur s’y prêtaient. Ces princes,