Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/196

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pas à avancer, deux choses aussi nécessaires l’une que l’autre à son indépendance  ; car qu’importe qu’on ne puisse pas le contraindre si on a mille moyens de le gagner ?

Il est vrai que le pouvoir royal avait réussi à dérober aux tribunaux ordinaires la connaissance de presque toutes les affaires où l’autorité publique était intéressée  ; mais il les redoutait encore en les dépouillant. S’il les empêchait de juger, il n’osait pas toujours les empêcher de recevoir les plaintes et de dire leur avis  ; et, comme la langue judiciaire conservait alors les allures du vieux français, qui aime à donner le nom propre aux choses, il arrivait souvent aux magistrats d’appeler crûment actes despotiques et arbitraires, les procédés du gouvernement. L’intervention irrégulière des cours dans le gouvernement, qui troublait souvent la bonne administration des affaires, servait ainsi parfois de sauvegarde à la liberté des hommes : c’était un grand mal qui en limitait un plus grand.

Au sein de ces corps judiciaires, et tout autour d’eux, la vigueur des anciennes mœurs se conservait au milieu des idées nouvelles. Les Parlements étaient sans doute plus préoccupés d’eux-mêmes que de la chose publique ; mais il faut reconnaître que, dans la défense de leur propre indépendance et de leur honneur, ils se montraient toujours intrépides, et qu’ils communiquaient leur âme à tout ce qui les approchait.

Lorsque, en 1770, le Parlement de Paris fut cassé, les magistrats qui en faisaient partie subirent la perte