Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/199

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croyances religieuses, et même à la pratique tiède et assidue du culte établi, qui permet l’honnêteté et défend l’héroïsme, et excelle à faire des hommes rangés et de lâches citoyens. Ils étaient meilleurs et pires.

Les Français d’alors aimaient la joie et adoraient le plaisir ; ils étaient peut-être plus déréglés dans leurs habitudes et plus désordonnés dans leurs passions et dans leurs idées que ceux d’aujourd’hui ; mais ils ignoraient ce sensualisme tempéré et décent que nous voyons. Dans les hautes classes, on s’occupait bien plus à orner sa vie qu’à la rendre commode, à s’illustrer qu’à s’enrichir. Dans les moyennes mêmes, on ne se laissait jamais absorber tout entier dans la recherche du bien-être ; souvent on en abandonnait la poursuite pour courir après des jouissances plus délicates et plus hautes ; partout on plaçait, en dehors de l’argent, quelque autre bien. « Je connais ma nation, écrivait en un style bizarre, mais qui ne manque pas de fierté, un contemporain ; habile à fondre et à dissiper les métaux, elle n’est point faite pour les honorer d’un culte habituel, et elle se trouverait toute prête à retourner vers ses antiques idoles, la valeur, la gloire, et j’ose dire la magnanimité. »

Il faut bien se garder, d’ailleurs, d’évaluer la bassesse des hommes par le degré de leur soumission envers le souverain pouvoir : ce serait se servir d’une fausse mesure. Quelque soumis que fussent les hommes de l’ancien régime aux volontés du roi, il y avait une sorte d’obéissance qui leur était inconnue : ils ne sa-