Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/201

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traire, et n’allait presque jamais jusqu’à fournir à tous les citoyens les garanties les plus naturelles et les plus nécessaires. Ainsi réduite et déformée, la liberté était encore féconde. C’est elle qui, dans le temps même où la centralisation travaillait de plus en plus à égaliser, à assouplir et à ternir tous les caractères, conserva dans un grand nombre de particuliers leur originalité native, leur coloris et leur relief, nourrit dans leur cœur l’orgueil de soi, et y fit souvent prédominer sur tous les goûts le goût de la gloire. Par elle se formèrent ces âmes vigoureuses, ces génies fiers et audacieux que nous allons voir paraître, et qui feront de la Révolution française l’objet tout à la fois de l’admiration et de la terreur des générations qui la suivent. Il serait bien étrange que des vertus si mâles eussent pu croître sur un sol où la liberté n’était plus.

Mais, si cette sorte de liberté déréglée et malsaine préparait les Français à renverser le despotisme, elle les rendait moins propres qu’aucun autre peuple, peut-être, à fonder à sa place l’empire paisible et libre des lois.