Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/204

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

documents du temps la signalent et la déplorent, les économistes dans leurs livres, les intendants dans leurs correspondances, les sociétés d’agriculture dans leurs Mémoires. On en trouve la preuve authentique dans les registres de la capitation. La capitation se percevait au lieu du domicile réel : la perception de toute la grande noblesse et d’une partie de la moyenne est levée à Paris.

Il ne restait guère dans les campagnes que le gentilhomme que la médiocrité de sa fortune empêchait d’en sortir. Celui-là s’y trouvait vis-à-vis des paysans ses voisins, dans une position où jamais propriétaire riche ne s’était vu, je pense. N’étant plus leur chef, il n’avait plus l’intérêt qu’il avait eu autrefois à les ménager, à les aider, à les conduire  ; et, d’une autre part, n’étant pas soumis lui-même aux mêmes charges publiques qu’eux, il ne pouvait éprouver de vive sympathie pour leur misère, qu’il ne partageait pas, ni s’associer à leurs griefs, qui lui étaient étrangers. Ces hommes n’étaient plus ses sujets, il n’était pas encore leur concitoyen : fait unique dans l’histoire.

Ceci amenait une sorte d’absentéisme de cœur, si je puis m’exprimer ainsi, plus fréquent encore et plus efficace que l’absentéisme proprement dit. De là vint que le gentilhomme résidant sur ses terres y montrait souvent les vues et les sentiments qu’aurait eus en son absence son intendant ; comme celui-ci, il ne voyait plus dans les tenanciers que des débiteurs, et il exigeait d’eux à la rigueur tout ce qui lui revenait encore d’après la