Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/210

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La somme totale que devait la paroisse était fixée tous les ans. Elle variait sans cesse, comme dit le ministre, de façon qu’aucun cultivateur ne pouvait prévoir un an d’avance ce qu’il aurait à payer l’an d’après. Dans l’intérieur de la paroisse, c’était un paysan pris au hasard chaque année, et nommé le collecteur, qui devait diviser la charge de l’impôt sur tous les autres.

J’ai promis que je dirais quelle était la condition de ce collecteur. Laissons parler l’assemblée provinciale du Berry en 1779 ; elle n’est pas suspecte : elle est composée tout entière de privilégiés qui ne payent point la taille et qui sont choisis par le roi. « Comme tout le monde veut éviter la charge du collecteur, disait-elle en 1779, il faut que chacun la prenne à son tour. La levée de la taille est donc confiée tous les ans à un nouveau collecteur, sans égard à la capacité ou à l’honnêteté ; aussi la confection de chaque rôle se ressent du caractère de celui qui le fait. Le collecteur y imprime ses craintes, ses faiblesses ou ses vices. Comment, d’ailleurs, y réussirait-il bien ? il agit dans les ténèbres ; car qui sait au juste la richesse de son voisin et la proportion de cette richesse avec celle d’un autre ? Cependant l’opinion du collecteur seule doit former la décision, et il est responsable sur tous ses biens, et même par corps, de la recette. D’ordinaire, il lui faut perdre pendant deux ans la moitié de ses journées à courir chez les contribuables. Ceux qui ne savent pas lire sont obligés d’aller chercher dans le voisinage quelqu’un qui les supplée. »