Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/216

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parut si heureusement imaginé, qu’en 1737, une circulaire du contrôleur-général Orry l’appliqua à toute la France. Les intendants furent armés du droit d’emprisonner à volonté les récalcitrants ou de leur envoyer des garnisaires.

À partir de là, toutes les fois que le commerce s’accroît, que le besoin et le goût des bonnes routes se répandent, la corvée s’étend à de nouveaux chemins et sa charge augmente. On trouve dans le rapport fait en 1779 à l’assemblée provinciale du Berry, que les travaux exécutés par la corvée dans cette pauvre province doivent être évalués par année à 700.000 livres. On les évaluait en 1787, en basse Normandie, à la même somme à peu près. Rien ne saurait mieux montrer le triste sort du peuple des campagnes : les progrès de la société, qui enrichissent toutes les autres classes, le désespèrent ; la civilisation tourne contre lui seul.

Je lis, vers la même époque, dans les correspondances des intendants, qu’il convient de refuser aux paysans de faire emploi de la corvée sur les routes particulières de leurs villages, attendu qu’elle doit être réservée aux seuls grands chemins, ou, comme on disait alors, aux chemins du roi. L’idée étrange qu’il convient de faire payer le prix des routes aux plus pauvres et à ceux qui semblent le moins devoir voyager, cette idée, bien que nouvelle, s’enracine si naturellement dans l’esprit de ceux qui en profitent, que bientôt ils n’imaginent plus que la chose puisse avoir