Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/219

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son aide : personne ne vient, et il s’étonne d’ordinaire en trouvant morts les gens auxquels il a lui-même ôté la vie.

En cette extrémité, il y a des intendants, dans les provinces les plus pauvres, qui, comme Turgot, par exemple, prennent illégalement des ordonnances pour obliger les propriétaires riches à nourrir leurs métayers jusqu’à la récolte prochaine. J’ai trouvé, à la date de 1770, les lettres de plusieurs curés qui proposent à l’intendant de taxer les grands propriétaires de leurs paroisses, tant ecclésiastiques que laïques, « lesquels y possèdent, disent-ils, de vastes propriétés qu’ils n’habitent point, et dont ils touchent de gros revenus qu’ils vont manger ailleurs ».

Même en temps ordinaire, les villages sont infestés de mendiants  ; car, comme dit Letronne, les pauvres sont assistés dans les villes ; mais à la campagne, pendant l’hiver, la mendicité est de nécessité absolue.

De temps à autre, on procédait contre ces malheureux d’une façon très-violente. En 1767, le duc de Choiseul voulut tout à coup détruire la mendicité en France. On peut voir dans la correspondance des intendants avec quelle rigueur il s’y prit. La maréchaussée eut ordre d’arrêter à la fois tous les mendiants qui se trouvaient dans le royaume  ; on assure que plus de cinquante mille furent ainsi saisis. Les vagabonds valides devaient être envoyés aux galères  ; quant aux autres, on ouvrit pour les recevoir plus de quarante dépôts de mendicité : il eût mieux valu rouvrir le cœur des riches.