Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/244

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sance ; mais, dans la plupart des pays, il était plutôt délaissé que violemment combattu ; ceux mêmes qui l’abandonnaient le quittaient comme à regret. L’irréligion était répandue parmi les princes et les beaux-esprits ; elle ne pénétrait guère encore dans le sein des classes moyennes et du peuple ; elle restait le caprice de certains esprits, non une opinion commune. « C’est un préjugé répandu généralement en Allemagne, dit Mirabeau en 1787, que les provinces prussiennes sont remplies d’athées. La vérité est que, s’il s’y rencontre quelques libres penseurs, le peuple y est aussi attaché à la religion que dans les contrées les plus dévotes, et qu’on y compte même un grand nombre de fanatiques. » Il ajoute qu’il est bien à regretter que Frédéric II n’autorise point le mariage des prêtres catholiques, et surtout refuse de laisser à ceux qui se marient les revenus de leur bénéfice ecclésiastique, « mesure, dit-il, que nous oserions croire digne de ce grand homme. » Nulle part l’irréligion n’était encore devenue une passion générale, ardente, intolérante ni oppressive, si ce n’est en France.

Là, il se passait une chose qui ne s’était pas encore rencontrée. On avait attaqué avec violence en d’autres temps des religions établies ; mais l’ardeur qu’on montrait contre elles avait toujours pris naissance dans le zèle que des religions nouvelles inspiraient. Les religions fausses et détestables de l’antiquité n’avaient eu elles-mêmes d’adversaires nombreux et passionnés que quand le christianisme s’était présenté pour les sup-