Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/322

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litiques leur esprit et leur pratique. Ils jugeaient et ils administraient au nom du roi, ensuite au nom de la république, enfin au nom de l’empereur. Puis, la fortune faisant refaire à sa roue le même tour, ils recommençaient à administrer et à juger pour le roi, pour la république et pour l’empereur, toujours les mêmes et de même ; car que leur importait le nom du maître ? Leur affaire était moins d’être citoyens que bons administrateurs et bons juges. Dès que la première secousse était passée, il semblait donc que rien n’eût bougé dans le pays.

Au moment où la Révolution éclata, cette partie du gouvernement qui, quoique subordonnée, se fait sentir tous les jours à chaque citoyen et influe de la manière la plus continue et la plus efficace sur son bien-être, venait d’être entièrement bouleversée : l’administration publique avait changé tout à coup tous ses agents et renouvelé toutes ses maximes. L’État n’avait pas paru d’abord recevoir de cette immense réforme un grand choc ; mais tous les Français en avaient ressenti une petite commotion particulière. Chacun s’était trouvé ébranlé dans sa condition, troublé dans ses habitudes ou gêné dans son industrie. Un certain ordre régulier continuait à régner dans les affaires les plus importantes et les plus générales, que personne ne savait déjà plus ni à qui obéir, ni à qui s’adresser, ni comment se conduire dans les moindres et les particulières qui forment le train journalier de la vie sociale.

La nation n’étant plus d’aplomb dans aucune de