Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/355

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légistes, qui font irruption dans toutes les cours et changent l’esprit ou la lettre de toutes les coutumes et de toutes les lois. L’avantage paraît d’abord être de leur côté ; ils obtiennent du gouvernement la promesse qu’on placera désormais dans les hautes cours des personnes honorables et éclairées, prises dans la noblesse et dans les États du duché, et pas de docteurs, et qu’une commission, composée d’agents du gouvernement et de représentants des États, dressera le projet d’un code qui puisse servir de règle dans tout le pays. Efforts inutiles ! Le droit romain finit bientôt par chasser entièrement le droit national d’une grande partie de la législation, et par planter ses racines jusque sur le terrain même où il laisse cette législation subsister.

Ce triomphe du droit étranger sur le droit indigène est attribué par plusieurs historiens allemands à deux causes : 1o au mouvement qui entraînait alors tous les esprits vers les langues et les littératures de l’antiquité, ainsi qu’au mépris que cela faisait concevoir pour les produits intellectuels du génie national  ; 2o à l’idée, qui avait toujours préoccupé tout le moyen-âge allemand et qui se fait jour même dans la législation de ce temps, que le saint-empire est la continuation de l’empire romain, et que la législation de celui-ci est un héritage de celui-là.

Mais ces causes ne suffisent pas pour faire comprendre que ce même droit se soit, à la même époque, introduit sur tout le continent de l’Europe à la fois. Je crois que cela vint de ce que, dans le même temps, le pouvoir absolu des princes s’établissait solidement partout sur les ruines des vieilles libertés de l’Europe, et de ce que le droit romain, droit de servitude, entrait merveilleusement dans leurs vues.

Le droit romain, qui a perfectionné partout la société civile, partout a tendu à dégrader la société politique, parce