Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/54

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même altérer dans leur essence aucune des lois fondamentales sur lesquelles reposent les sociétés humaines dans notre Occident. Quand on la sépare de tous les accidents qui ont momentanément changé sa physionomie à différentes époques et dans divers pays, pour ne la considérer qu’en elle-même, on voit clairement que cette révolution n’a eu pour effet que d’abolir ces institutions politiques qui, pendant plusieurs siècles, avaient régné sans partage chez la plupart des peuples européens, et que l’on désigne d’ordinaire sous le nom d’institutions féodales, pour y substituer un ordre social et politique plus uniforme et plus simple, qui avait l’égalité des conditions pour base.

Cela suffisait pour faire une révolution immense, car, indépendamment de ce que les institutions antiques étaient encore mêlées et comme entrelacées à presque toutes les lois religieuses et politiques de l’Europe, elles avaient, de plus, suggéré une foule d’idées, de sentiments, d’habitudes, de mœurs, qui leur étaient comme adhérentes. Il fallut une affreuse convulsion pour détruire et extraire tout à coup du corps social une partie qui tenait ainsi à tous ses organes. Ceci fit paraître la Révolution encore plus grande qu’elle n’était ; elle semblait tout détruire, car ce qu’elle détruisait touchait à tout et faisait en quelque sorte corps avec tout.

Quelque radicale qu’ait été la Révolution, elle a cependant beaucoup moins innové qu’on ne le suppose généralement : je le montrerai plus tard. Ce qu’il est vrai de dire d’elle, c’est qu’elle a entièrement détruit