Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/68

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Bien plus, plusieurs des droits d’origine féodale qui ont le plus révolté nos pères, qu’ils considéraient non-seulement comme contraires à la justice, mais à la civilisation : la dîme, les rentes foncières inaliénables, les redevances perpétuelles, les lods et ventes, ce qu’ils appelaient, dans la langue un peu emphatique du dix-huitième siècle, la servitude de la terre, toutes ces choses se retrouvaient alors, en partie, chez les Anglais ; plusieurs s’y voient encore aujourd’hui même. Elles n’empêchent pas l’agriculture anglaise d’être la plus perfectionnée et la plus riche du monde, et le peuple anglais s’aperçoit à peine de leur existence.

Pourquoi donc les mêmes droits féodaux ont-ils excité dans le cœur du peuple en France une haine si forte, qu’elle survit à son objet même et semble ainsi inextinguible ? La cause de ce phénomène est, d’une part, que le paysan français était devenu propriétaire foncier, et, de l’autre, qu’il avait entièrement échappé au gouvernement de son seigneur. Il y a bien d’autres causes encore, sans doute, mais je pense que celles-ci sont les principales.

Si le paysan n’avait pas possédé le sol, il eût été comme insensible à plusieurs des charges que le système féodal faisait peser sur la propriété foncière. Qu’importe la dîme à celui qui n’est que fermier ? Il la prélève sur le produit du fermage. Qu’importe la rente foncière à celui qui n’est pas propriétaire du fonds ? Qu’importent mêmes les gênes de l’exploitation à celui qui exploite pour un autre ?