Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/88

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C’était sacrifier, avec la liberté des villes, leur bien-être ; car, si la mise en offices des fonctions publiques a eu souvent d’utiles effets quand il s’est agi des tribunaux, parce que la condition première d’une bonne justice est l’indépendance complète du juge, elle n’a jamais manqué d’être très-funeste toutes les fois qu’il s’est agi de l’administration proprement dite, où on a surtout besoin de rencontrer la responsabilité, la subordination et le zèle. Le gouvernement de l’ancienne monarchie ne s’y trompait pas : il avait grand soin de ne point user pour lui-même du régime qu’il imposait aux villes, et il se gardait bien de mettre en offices les fonctions de subdélégués et d’intendants.

Et ce qui est bien digne de tous les mépris de l’histoire, cette grande révolution fut accomplie sans aucune vue politique. Louis XI avait restreint les libertés municipales parce que leur caractère démocratique lui faisait peur ; Louis XIV les détruisit sans les craindre. Ce qui le prouve, c’est qu’il les rendit à toutes les villes qui purent les racheter. En réalité, il voulait moins les abolir qu’en trafiquer, et, s’il les abolit en effet, ce fut pour ainsi dire sans y penser, par pur expédient de finances ; et, chose étrange, le même jeu se continue pendant quatre-vingts ans. Sept fois, durant cet espace, on vend aux villes le droit d’élire leurs magistrats, et, quand elles en ont de nouveau goûté la douceur, on le leur reprend pour le leur revendre. Le motif de la mesure est toujours le même, et souvent on l’avoue. « Les nécessités de nos finances, est-il dit