Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/123

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propre à être apprise et suivie par tous les hommes. C’était là la partie réellement nouvelle de l’ancien tableau.

Durant cette journée, je n’aperçus pas dans Paris un seul des anciens agents de la force publique, pas un soldat, pas un gendarme, pas un agent de la police ; la garde nationale elle-même avait disparu. Le peuple seul portait les armes, gardait les lieux publics, veillait, commandait, punissait ; c’était une chose extraordinaire et terrible de voir dans les seules mains de ceux qui ne possédaient rien, toute cette immense ville, pleine de tant de richesses ou plutôt cette grande nation ; car, grâce à la centralisation, qui règne à Paris commande à la France. Aussi, la terreur de toutes les autres classes fut-elle profonde ; je ne crois pas qu’à aucune époque de la révolution, elle ait été aussi grande, et je pense qu’on ne saurait la comparer qu’à celle que devaient éprouver les cités civilisées du monde romain, quand elles se voyaient tout à coup au pouvoir des Vandales et des Goths. Comme rien de semblable ne s’était vu jusque-là, bien des gens s’attendaient à des actes de violence inouïs. Pour mon compte, je ne partageai jamais ces craintes. Ce que je voyais me faisait présager, dans un avenir prochain, des perturbations étranges, des crises singulières. Je ne crus jamais au pillage des