Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/149

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dynastiques étaient si bien enterrés au fond des âmes qu’on ne voyait même plus la place qu’ils avaient occupée. La république respectait les personnes et les biens, et on la tenait pour légitime. Ce qui me frappa le plus après le spectacle que je viens de décrire, ce fut de voir la haine universelle mêlée à la terreur universelle qu’inspirait pour la première fois Paris. En France, les provinciaux ont pour Paris et pour le pouvoir central, dont Paris est le siège, des sentiments analogues à ceux qu’ont les Anglais pour leur aristocratie, qu’ils supportent quelquefois avec impatience et voient souvent avec jalousie, mais, qu’au fond, ils aiment parce qu’ils espèrent toujours faire servir ses privilèges à leurs avantages particuliers. Cette fois, Paris et ceux qui parlaient en son nom avaient tellement abusé de sa puissance, et semblaient tenir si peu de compte du reste du pays, que l’idée de secouer le joug et d’agir enfin par eux-mêmes se présentait à beaucoup d’esprits qui ne l’avaient jamais conçue ; désirs incertains, il est vrai, et timides, passions éphémères et molles dont je ne crus jamais qu’il y eût beaucoup à espérer ni beaucoup à craindre ; ces sentiments nouveaux se tournaient alors en ardeur électorale. On voulait aller aux élections, car choisir des ennemis de la démagogie parisienne se présentait moins aux esprits comme l’usage régulier d’un droit