Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/164

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dix mille sept cent quatre suffrages sur cent vingt mille votants à peu près ; la plupart des collègues qu’on m’avait donnés, appartenaient à l’ancienne opposition dynastique ; deux seulement avaient professé des opinions républicaines avant la révolution, et étaient ce qu’on appelait dans le jargon du jour des républicains de la veille. On sait qu’il en fût de même dans la plus grande partie de la France.

Il y a eu des révolutionnaires plus méchants que ceux de 1848, mais je ne pense pas qu’il y en ait jamais eu de plus sots ; ils ne surent ni se servir du suffrage universel, ni s’en passer. S’ils avaient fait les élections le lendemain du 24 février, alors que les hautes classes étaient étourdies du coup qu’elles venaient de recevoir, et quand le peuple était plutôt étonné que mécontent, ils auraient obtenu peut-être une assemblée suivant leur cœur ; s’ils avaient hardiment saisi la dictature, ils auraient pu la tenir quelque temps dans leurs mains. Mais ils se livrèrent à la nation et, en même temps, ils firent tout ce qui était le plus propre à l’éloigner d’eux ; ils la menacèrent en se livrant à elle ; ils l’effrayèrent par la hardiesse de leurs projets et par la violence de leur langage, et l’invitèrent à la résistance par la mollesse de leurs actes ; ils se donnèrent les airs d’être ses précepteurs en même temps qu’ils se mettaient dans sa dépendance. Au lieu d’ou-