Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/179

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monuments, quoiqu’elles soient insipides à ceux qui les comprennent et incompréhensibles pour le peuple. Le tout avait un aspect immense, une physionomie froide, grave et presque triste. On avait préparé des sièges pour neuf cents membres, chiffre plus nombreux qu’aucun de ceux des Assemblées qui s’étaient réunies en France depuis soixante ans.

Je sentis sur-le-champ que l’atmosphère de cette Assemblée me convenait. J’y éprouvais, malgré la gravité des événements, une sorte de bien-être qui m’était nouveau. Pour la première fois, en effet, depuis que j’étais entré dans la vie publique, je me sentais mêlé au courant d’une majorité et suivant avec elle la seule direction que mon goût, ma raison, et ma conscience m’indiquassent, sensation nouvelle et très douce. Je démêlais que cette majorité repousserait les socialistes et les Montagnards, mais voudrait sincèrement maintenir et organiser la république. Je pensais comme elle sur ces deux points principaux ; je n’avais nulle foi monarchique, nulle affection ni regrets pour aucun prince ; point de cause à défendre sinon celle de la liberté et de la dignité humaine. Protéger les anciennes lois de la société contre les novateurs à l’aide de la force nouvelle que le principe républicain pouvait donner au gouvernement ; faire triompher la volonté évidente du peuple français sur les passions et les